Marlin pinpin ou pourquoi la DRM URMS de Sony ne nous aidera pas à vendre des livres numériques

Quel est l’objectif de l’industrie du livre si ce n’est de vendre des livres ? Et quel est le rôle de chacun de ses membres si ce n’est de fluidifier la chaîne afin de servir cet objectif ?

Le sujet de la protection des contenus numériques est récurrent dans l’actualité de l’édition, à juste titre, et puisque en tant que libraire indépendant c’est un sujet qui impacte directement notre commerce, nous allons nous aussi ajouter notre pierre à l’édifice. La nouvelle DRM Sony URMS est-elle profitable à la chaîne du livre française aujourd’hui ?

Aucun éditeur à bord

Pour tout « acteur du secteur du livre numérique » qu’elles se réclament, les entreprises qui ont pris part au développement de la nouvelle DRM de Sony ne font, pour la grande majorité, pas partie de la chaîne du livre numérique. L’offre de Sony peut paraître légitimement attirante pour des prestataires (1 million de dollars à se partager, quand même), mais tous les prestataires du monde pourraient s’y mettre, il n’y aurait pas de contenu à protéger pour autant. Un lancement en grande pompe donc pour une « DRM open source et interopérable » qui n’est soutenue par aucun groupe d’édition au moment où elle est annoncée.

De deux maux choisir le moindre

C’est une tendance que nous avons remarquée ces dernières années : dans le cadre de la vente aux particuliers, les éditeurs choisissent de plus en plus un protection plus légère que la DRM Adobe (le watermark). Aujourd’hui, alors que le catalogue que nous vendons sur notre librairie est au moins deux fois plus volumineux qu’en 2010, seulement 20% des livres numériques que nous vendons sont protégés par des DRM alors que la proportion était beaucoup plus importante à nos débuts. D’une part parce que les éditeurs réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires sur des plate-formes propriétaires qui se portent garantes de la sécurité des contenus, et d’autre part car la DRM Adobe qui ne s’applique donc que chez les libraires indépendants, coûte cher et ne rapporte que des problèmes (clients insatisfaits, libraires insatisfaits, mauvaise publicité pour l’éditeur).

Si c’est le cas pour la vente aux particuliers, la vérité est ailleurs en ce qui concerne le prêt de contenus homothétiques (= dont la forme et le contenu sont équivalents au livre papier) en bibliothèques. Impossible de faire l’impasse sur les DRM si les éditeurs veulent pouvoir garantir une protection aux auteurs et aux ayant droit. Pour se prémunir juridiquement d’éventuels piratages tout en proposant une expérience de lecture qui soit la moins mauvaise, La DRM Adobe reste le seul choix valable étant compatible avec presque toutes les liseuses du marché (sauf le Kindle évidemment) dont les liseuses Kobo, ce qui n’est pas le cas de la DRM URMS.

Le jour d’après

La vente de DRM ne rapporte pas d’argent. En revanche, développer un tel système coûte coûte cher pour un retour sur investissement très faible. Pourquoi ? Parce que le livre numérique est un marché de niche.

Cela n’aura échappé à personne à force d’études et d’enquêtes qui sont publiées régulièrement sur le sujet : le marché du livre numérique en France est un petit marché, celui de la vente de livres numériques en librairie indépendante l’est encore plus. Le risque d’engager de l’argent dans le développement d’un système coûteux pour un marché de niche est qu’une entreprise telle que Sony décide, constatant au bout de quelques temps que sa DRM lui a coûté plus d’argent qu’elle ne lui en a rapporté, de tout simplement arrêter pour se concentrer sur des marchés plus lucratifs et moins risqué. Risqué, car se lancer dans la gestion de contenus quels qu’ils soient c’est se coller une cible dans le dos qu’un flot de hackers prendra plaisir à viser régulièrement. Sony en sait quelque chose. Qu’adviendra-t-il alors des livres achetés et protégés ? Quelle est la pérennité de ce système pour les clients et les acteurs de la chaîne du livre une fois que Sony aura jeté l’éponge ?  Nous pouvons déjà deviner  l’issue d’un tel échec ne sera pas à l’avantage des éditeurs : pousser encore les lecteurs dans les bras d’Amazon, Kobo et consorts qui pourront continuer à grossir tranquillement jusqu’au point de non-retour.

À cet égard, la DRM LCP propose un modèle plus sûr car elle s’appuie sur une association à but non lucratif (EDRLab) ; c’est aussi son point faible car ce statut ne lui permet pas pour l’instant de garantir aux éditeurs qu’ils auront quelqu’un contre qui se retourner en cas de piratage et de conflit juridique avec un ayant droit.

Les DRM sont un poison pour la librairie indépendante

Nous allons le dire à nouveau : la notion d’interopérabilité est un leurre. Et brandir l’argument de l’interopérabilité quand on exclut de facto les supports de lecture sur lesquels sont réalisés les 3/4 du chiffre d’affaires d’un marché, on va même dire que c’est un mensonge.  Les jeux sont-ils faits au point que l’on laisse déjà les plus grosses plates-formes faire la pluie et le beau temps d’un marché si jeune ?

On pourrait penser qu’en raison des problèmes que posent les DRM aux libraires indépendants, ces derniers seraient aidés par les diffuseurs pour pouvoir facilement annuler des commandes en cas d’insatisfaction du client, mais ce n’est même pas le cas. En revanche, les plus gros revendeurs imposent des conditions commerciales spécifiques aux retours, que les diffuseurs dans ce rapport de force inégal n’ont pas d’autre choix que d’accepter. Ces conditions ont d’ailleurs été pointées du doigt l’année dernière par la DGCCRF. Mais sur ces sujets de fond nous attendons toujours les articles.

Illustration : Gallica

Élisa Boulard, Business Development Manager

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