30% : une histoire de remises

Parfois il n’y a rien à dire, et parfois les obstacles que nous rencontrons sur notre chemin de libraire indépendant nous donnent envie de vous les partager. Prêts à parler d’argent ?

Un peu de contexte

Deux ans après la naissance de l’iPhone arriva en France le premier iPad d’Apple, embarquant avec lui l’application de lecture et d’achat de livre bien nommée, iBooks. Cet évènement de mai 2010 fit décoller le marché du livre numérique en France qui jusque là restait confiné à un très petit cercle de professionnels et de technophiles. Les plates-formes concurrentes arrivèrent sur le marché l’année suivante, Amazon puis Kobo par l’intermédiaire de son partenaire local, la FNAC.

Ces géants imposèrent dès leur arrivée un certain nombre de standards qui paralysent encore le marché aujourd’hui : offres à fichier unique, protection propriétaire, grille de prix imposée (se terminant obligatoirement par .99), fichiers entreposés par les (gros) libraire et une remise unique de 30% sur le PPHT pour chaque livre numérique vendu (voire pour chaque livre vendu puis remboursé, mais ceci est une autre histoire). Une clause non négociable qui est devenue la norme dans toute l’interprofession. Toute ? Hélas, non. Tous les diffuseurs n’accordent pas 30% à tous leurs libraires, et tous les libraires ne sont pas égaux devant les coûts inhérents à la vente en ligne.

Les coûts cachés de la vente en ligne

Quel est l’un des postes de coût les plus élevés de la vente en ligne et dont on n’entend jamais parlé dans le secteur du livre ? Les frais bancaires. Sujet éminemment ennuyeux et néanmoins central dans le secteur du commerce en ligne, les frais bancaires accaparent une partie non négligeable de la commission les libraires (sauf de ceux qui sont leur propre banque). Ajoutons que les commerces en ligne sont taxés sur une taxe, puisque les frais bancaires sont appliqués sur le TTC et qu’ils reversent 5,5% de ce total à l’État français, (sauf ceux qui bénéficient d’avantages fiscaux).

Chez 7switch, nous avons cherché à savoir quelle proportion de notre revenu net était versé chaque mois aux établissement bancaires avec lesquels nous travaillons. En moyenne, c’est 10% de notre chiffre d’affaires net qui revient aux banques, pourcentage qui varie en fonction du montant du panier : plus le montant du panier est faible, plus les frais bancaire sont élevés et vice versa. C’est un constat, chaque membre de la chaîne du livre a ses contraintes et nous en prenons notre part. Pour démontrer nos propos, voici ci-dessous un petit tableau sur ce qui nous revient (colonne verte) lorsqu’un diffuseur nous accorde une remise de 20% :

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Avec une remise de 20%
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Avec une remise de 30%

À la lumière de ces tableaux, on constate plusieurs choses :

  • Les petits prix, s’ils n’accompagnent pas une opération commerciale exceptionnelle qui garantisse que les clients valideront des paniers très volumineux, sont une mauvaise idée (s’il fallait encore le confirmer).
  • Lorsque nous vendons des montants inférieurs à 3€, nous perdons de l’argent.
  • Imaginez un peu si l’on rajoutait à ce tableau ce que nous coûte le service après-vente lié aux livres avec DRM (si on devait en tenir compte, la remise devrait plutôt être de 40% – encore un coût que les plus gros revendeurs n’ont pas à payer).

La vérité est ailleurs

7switch est une librairie en ligne qui a la chance d’avoir également le point de vue d’un diffuseur/distributeur en raison de notre lien de parenté avec immatériel.fr. Nous savons donc qu’un diffuseur a tout intérêt à accorder une remise de 30% à tous ses clients libraires, quel que soit leur volume de vente : s’ils vendent beaucoup, alors les 30% sont justifiés par les quantités. Si au contraire les quantités sont faibles, alors le diffuseur ne perd rien à respecter son partenaire pour le travail qu’il accomplit. C’est une garantie pour les diffuseurs que les plus petits points de vente ne seront pas lésés, qu’ils seront encouragés à faire leur travail et qu’ils réussiront peut-être à vendre plus de livres.

Force est de constater qu’ils sont encore nombreux, les diffuseurs qui ne l’entendent pas de cette oreille. Plutôt que d’accorder une remise de 30% à tous ses clients, certains partent d’une remise de base s’échelonnant entre 18% et 20% et y appliquent scrupuleusement des grilles de points quantitatifs et qualitatifs qu’ils distribuent ou non aux libraires indépendants, pour arriver à des remises qui excèdent alors rarement les 25%. Ces critères, s’ils ont tout lieu d’avoir cours dans le secteur du livre papier qui est un marché mature dont les bases ont été consolidées depuis longtemps, sont absurdes lorsqu’ils sont calqués sur le secteur du livre numérique. Un marché qui représente à peine 5% des revenus des éditeurs selon une étude récente et dont personne ne saurait prédire l’avenir.

Plutôt que de donner sa chance aux acteurs d’une économie jeune qui est soumise à de nombreux paramètres qui sont hors de son emprise (usages des lecteurs, technologie, nouvelles pratiques commerciales), on impose aux acteurs qui prennent le plus de risques des remises non seulement décourageantes mais aussi dangereuses pour leur équilibre financier.

Conclusion

À nouveau, ceci s’applique à un nombre restreint de diffuseurs, la plupart d’entre eux ont choisi d’accorder d’office 30% à tout le monde. Mais pour ceux qui ne le font pas, voici le business qu’ils proposent à un commerçant qui a, naturellement, la vocation de gagner de l’argent. On nous rétorquera que les frais bancaires sont du ressort du libraire, soit. Retournons un peu le miroir : quel est l’objectif et l’intérêt d’un diffuseur, ou d’un éditeur qui voudrait favoriser le développement d’un marché naissant ? Avoir des points de vente nombreux, motivés et volontaires pour éviter d’être trop dépendants d’une poignée de revendeurs 1000 fois plus gros qu’eux. Les conditions commerciales proposées aujourd’hui par plusieurs diffuseurs mènent tout droit à l’exact opposé.

L’édition française se complait dans la crainte des monopoles mais elle continue à freiner le marché en traitant mal ses libraires indépendant. L’issue est certaine : ce ne sont ni les libraires indépendants ni les éditeurs qui l’emporteront.

Source image : Gallica

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